Le photo langage est un exercice qui consiste à donner un thème aux participants et de leur demander de choisir parmi un tas de photos diverses, celles qui représentent le mieux, à leurs yeux, le thème. Si je propose « la crise de nerf », cette photo sera sûrement choisie! A la fin de la séance, on espère avoir ouvert l’esprit des gens et on leur demande de porter un regard neuf sur la photo et de nous dire ce qu’ils y voient. Ici en l’occurrence, on peut y voir de la joie…
C’est cette double, et parfois paradoxale, lecture des choses qui me pousse aujourd’hui à changer mon approche avec les managers. Jusque là, en tant que formateur, j’avais la conviction et le devoir de prêcher la bonne posture, le bon discours, les bonnes pratiques… Oui mais voilà, alors que je sais depuis des années que ce mode de formation n’apporte rien de pérenne aux managers, que je répète moi-même qu’on ne fais que « lire des recettes » et que cela ne fait pour autant de nous des cuisiniers, je continue de prôner l’assertivité, l’empathie, l’écoute active, la communication positive ou le leadership,…
Là où nous voyons la responsabilité qui incombe aux managers de rendre le « travail » agréable afin de développer le bien-être des collaborateurs et donc la productivité des entreprises, eux voient au quotidien des collaborateurs qui finissent par oublier qu’ils ont des devoirs en même temps que des droits, et qui s’encouragent les uns les autres à tirer au maximum sur le système pour voir jusqu’où il va tenir…
A voir cette dérive d’enfant gâté, surprotégé par les instances représentatives souvent incarnée par des désengagés actifs, ceux là même qui, par un manque de reconnaissance maladif, ont décidé de ramer à l’envers pour ne surtout pas jouer le jeux des managers. Une vieille envie de rébellion sur fond de sentiment d’injustice qui trouve sa source à l’époque de l’esclavagisme et de l’exploitation de l’homme par l’homme sur fond de dualité riche/pauvre. Il ne faut pas s’étonner qu’accepter de devenir manager aujourd’hui équivaut à chercher les emmerdes!
Pourquoi ce changement? Sûrement parce que pendant des siècles, devenir manager était une récompense! Un moyen d’être « anoblie », de gagner plus d’argent ! Mais aujourd’hui les modèles se sont inversés. Ce ne sont plus les managers qui choisissent les collaborateurs mais les candidats qui choisissent l’entreprise. Ce n’est plus l’entreprise qui décide quoi vendre aux clients, mais les consommacteurs qui dictent leurs choix. Une époque où les salariés ne sont plus au service du manager, mais le coach qui est en soutien de son équipe! Comme l’écrit Julia de Funès, philosophe et écrivaine, « Le management est une promotion en France, or c’est une compétence! ». Et face à cette… ces compétences, de nombreux obstacles se dressent.
Parmi lesquels :
- Le principe de Peter déjà, tout le monde a un seuil de compétences au delà duquel on ne peut plus évoluer.
- Le piège de l’engagement, qui consiste à continuer de faire, d’obéir aux codes de la société alors même que l’on sait, on ne le souhaite pas vraiment! Mais comment expliquer à son patron, à sa femme ou à ses amis, qu’on va refuser la promotion que la direction me propose, ou plutôt : m’accorde? Qui serait assez bête pour refuser une promotion? Mais en ai-je les capacités, les compétences? une formation de 2j devrait faire l’affaire! (Position de vie OK-/OK+ la soumission)
- Les croyances qui sont plus fortes que tout et qui sont les responsables des conflits et des échecs. « Moi je sais comment faire », pas question de perdre la face, mon orgueil fera que je ne reconnaitrai jamais que j’ai pris la mauvaise décision, et je vais m’entêter et entrainer tout le monde avec moi! (Position de vie OK+/OK- domination)
- Les émotions qui prennent le dessus sur la raison et transforment l’objectif initial, en revanche, ou comment je passe de « nous devons faire des économie » à « je vais leur apprendre à rester à leur place! » Après m’être pris une remarque déplacée sur ma gestion du budget (Position de vie OK+/OK-)
- Le manque de sens, ou l’absence de vision qui me fais me demander chaque matin pourquoi je me lève pour retourner travailler? A quoi sert ce que je fais? Pour quoi, ou pour qui? (Position de vie OK-/OK-)
- J’allais oublié les sauveurs, ceux et celles qui pensent toujours pouvoir sauver les autres malgré eux. « On va lui donner une autre chance! » (je ne veux pas qu’on m’en veuille, je n’aime pas le conflit…je ne peux pas le virer…) Et je me fais avoir encore et encore développant en moi un sentiment d’impuissance.
- La loi du code du travail qui donnera toujours tord aux managers. Le dur prix à payer pour les erreurs de management commises par quelques uns (les fameux 3%) nos prédécesseurs et ancêtres, qui ont généreusement abusé du pouvoir que l’on peut avoir sur les autres lorsqu’on est du coté des décideurs. (OK-/OK- « le système est biaisé »)
- Les N+1 ou +2 qui considèrent que la formation est un coût et non un investissement, et qui acceptent, confiants, de donner les clefs du camion à quelqu’un qui n’a pas le permis! (« Mais il sait conduire une voiture?! alors il va bien se débrouiller ! En plus de l’argent que ca coute, il n’y a personne pendant ce temps là pour faire le travail. »)
- Le désengagement progressif. Las, fatigué des efforts engagés, face au statu quo de certaines personnes (collaborateurs, N+1, RH, direction générale,…), le manager s’épuise et perd sa flamme, il s’éteint à petit feu, déçu, amère… A quoi bon! (OK-/OK-)
Bref, qui aurait envie aujourd’hui d’aller se mettre face à tout ça?
Quelques exemples:
- Je suis responsable d’une équipe service clients. Je n’emploie pas des personnes à des très gros salaires, le job est assez basique. Je fixe des objectifs atteignables. Des objectifs d’équipe, parce que je veux qu’il s’entraident, et je me débrouille pour qu’ils atteignent leurs objectifs en fixant des KPIs qui les valorisent… J’en suis même rendu à leur faire des templates de mails dans lesquels ils n’ont qu’a changer le nom du client avant de l’envoyer. Oui! je leur donne les moyens de réussir ! Mais quand je constate qu’ils se sont installés dans ce confort, que tant qu’ils ont de « bons » résultats (forcément c’est moi qui fait tout pour qu’ils puissent toucher leurs primes) ils ne comprennent pas pourquoi je leur demande respectueusement et sur un ton joyeux pour ne pas les brusquer, de limiter l’utilisation de leur téléphone portable pendant les heures de bureau. Ou bien encore d’arriver à 9 heure (difficile quand le big boss se pointe à 10h tous les matins). Et voilà que l’une d’entre elle vient te dire entre deux réunions : « de toute façon tu ne peux pas me virer je suis représentant du personnel »… Fatigue, frustration, injustice…
- Autre exemple de ce directeur d’usine qui, très aux fait des règlementations et des enjeux tant sur le plan humain que économique, se retrouve en face des représentant du personnel qui demandent 30% d’augmentation de salaire en plus de l’intéressement et de la participation. Avec toute sa pédagogie possible il explique que le CA de cette année n’a rien a voir avec des profits, que c’est dopé par l’inflation et qu’en réalité ils ont perdu deux gros clients… « Oui mais vous avez bien refait des bureaux tout neuf et agrandi l’usine, et vous nous demandez de nous serrer la ceinture alors que nous on subit les hausses du coût de la vie..?! » Comment leur faire prendre conscience que sans ces investissements (financés par la banque) l’entreprise aurait perdu des marchés parce qu’ils n’auraient pas pu répondre aux nouvelles normes et dû les licencier? (« Remarque on n’aurait pas cette situation a gérer! » me glissait le directeur.)
- Cette femme qui passe chef d’équipe dans l’usine ou elle travaille depuis 11 ans. Elle se retrouve à manager ses ex-collègues sans formation… au bout d’un mois que ces collègues se taisent quand elle rentre dans la cafeteria et qu’elle se prend des crasses et de faux ragots sur sa vie privée propagés par une collègue qui estime que c’est elle qui aurait dû avoir le poste! Elle est là depuis plus longtemps. « Elle a surement dû accorder quelques faveurs au patron pour avoir le poste… » Vas te relever tous les jours pour venir manager dans cet environnement. La fille pleurait devant moi honteuse et perdue (où sont les RH parfois…)
- Un dernier: ce directeur d’usine qui accepte de reprendre la direction d’une usine, à 300km de chez lui, qui n’avait plus de directeur depuis 6 mois. Sa femme démissionne pour le suivre et leurs enfants quittent leurs amis et leur école. Au bout d’un mois de prise de poste, ayant constaté des dérives et des problèmes, il tente doucement de remettre de l’ordre. Mais il dérange les petites habitudes des uns et des autres. « Je suis cadre, je n’ai pas à pointer mes heures! » s’entend t-il répondre quand un matin il demande pourquoi il n’a toujours pas le dossier demandé la semaine précédente à son collaborateur. « Mais tu as une famille? » -« non! » ; -« Tu as d’autres responsabilités? » -« non! », -« tu es malade? » -« non! »… -« mais alors pourquoi arrives tu à 10H15 et repars tu à 16h30 tous les jours? Et tu me dis que tu n’as pas eu le temps de me faire le dossier? ». Deux mois après sa prise de fonction, la RH arrive avec le représentant du personnel : « Vous êtes mis à pied, vous êtes sous le coup d’une accusation de harcèlement sexuel! je vous demande de me remettre votre ordinateur, votre téléphone,… ». Il aurait mis sa main sur la cuisse de sa voisine au cours de la dernière réunion du CE… Son avocat lui a dit qu’il n’aurait quasi rien en dommage et intérêts vu qu’il venait d’arriver et qu’attaquer une procédure… « pour revenir bosser avec ces gens là? »…
Alors que fera t-on quand toutes les bonnes volontés auront été usées? Va t-on voir se développer le modèle holacratique? « Un management horizontal où chaque salarié est autonome et décisionnaire ». Je n’y crois pas!
Je pense que la loi doit évoluer, et heureusement que le conseil des prudhommes sait reconnaitre certains abus de salariés qui essayent tout pour obtenir des indemnités. Cela me rappelle ce directeur d’un pressing qui employait entre autres 3 chauffeurs de camion. L’un d’eux est curieusement tombé quelques jours après la fin de sa période d’essai. Accident du travail, arrêté 6 mois… 3 mois après l’accident le patron le croise dans la rue en tenue de tennis, raquette sous le bras. -« qu’est-ce que tu fais là? tu as soit disant un pb de vertèbres qui t’empêche de te lever?!? » – « Mon précédent employeur j’ai réussi à lui faire cracher 20k€, avec toi je vais faire mieux! ».
Je pense surtout qu’on n’est pas préparé à tout ça. Que pour y arriver, en respectant la loi, il faut de l’entrainement, du coaching. Un sportif de haut niveau il est coaché pour étudier tous les scénarii possibles et préparer sa réponse. On voit la préparation des passes au rugby, l’analyse des stratégies de l’adversaire et l’entrainement. C’est permanent. Donc en entreprise c’est pareil, ce sont des compétences que l’on doit savoir maîtriser. Quelle belle illusion de croire qu’avec 2jours de formation une fois tous les 2 ans, les managers vont briller… C’est comme pour un régime, en 2j de cure je ne vais pas perdre mes habitudes alimentaires.
Pour me muscler, aller 2 jours à la salle? A part des courbatures je n’en serai pas plus costaud. Donc c’est la récurrence dans le temps qui compte, mais si je dois y aller seul je vais vite me décourager et je risque surtout de faire des erreurs et de retenir des mauvaises techniques. L’accompagnement dans la durée est essentiel. Se confronter à la réalité sans être le seul à devoir faire face. Normalement c’est le role du N+1, mais comme lui non plus il n’a pas la formation… et puis il n’a pas le temps! Il attend que je lui montre qu’il a eu raison de me faire confiance. N’est-ce pas ?